Robert Skinner, La Presse

Pinocchio: l’art du conteur

Article publié le 16 décembre 2012 sur La Presse, par Alexandre Vigneault.Photo Robert Skinner, La Presse.

La réalité, c’est bien, mais l’imagination c’est mieux. Hugo Bélanger arpente depuis des années les coulisses du réel d’où il ressort des personnages légendaires auxquels il insuffle une nouvelle vie. Sa dernière fantaisie? Réinventer l’histoire de la plus célèbre marionnette du monde: Pinocchio.

Ce cavalier longiligne esquissé en blanc sur le t-shirt noir d’Hugo Bélanger est reconnaissable entre mille: c’est l’inénarrable Don Quichotte. On ne s’étonne pas de voir le metteur en scène afficher un tel blason; il aime les personnages qui «voient la réalité autrement». Quichotte, donc, mais aussi le baron de Münchhausen et la petite Alice de Lewis Carroll, deux icônes auxquelles il a consacré des spectacles inspirés.

«Münchhausen disait: prouvez-moi que mes rêves sont moins vrais que la réalité. Léonard de Vinci et tous les autres rêveurs qui ont refait le monde avaient décidé que la réalité ne suffisait pas, affirme Hugo Bélanger. L’humain est humain parce qu’il rêve.»

Pinocchio l’intéresse entre autres en raison du rêve qui l’anime: devenir un vrai petit garçon. «C’est l’histoire d’un morceau de bois qui veut devenir humain, mais c’est aussi le plus humain de tous les personnages du conte, dans ses qualités… comme dans ses défauts», analyse le metteur en scène, momentanément extirpé d’une répétition.

Sa version du célèbre conte s’appuie sur une lecture du récit originel -un feuilleton de l’écrivain italien Carlo Collodi publié à la fin du XIXe siècle – et sur la célèbre version de Disney, qui date de 1940. Son but, précise-t-il, n’est pas de raconter «la vraie histoire» du pantin de bois. Il a pris des éléments de différentes versions auxquelles il ajouté des éléments de son cru pour en faire une création qui soit propre au théâtre Tout à trac.

Un passage

Son Pinocchio se concentre sur un nombre limité de personnages, notamment sur le tandem de filous composé du chat et du renard, «des personnages colorés qui ramènent l’esprit du conte» et qui tentent de tromper un garçon encore crédule. «Pinocchio, au fond, c’est un conte sur le passage de l’enfance à l’âge adulte, résume Hugo Bélanger. Collodi est parti des expressions de l’époque -on disait des enfants qui ont la tête vide qu’ils avaient une tête en bois, que s’ils n’allaient pas à l’école, ils seraient des ânes… – et il les a mis en scène littéralement.»

Le pantin de bois, en fait, est simplement un petit garçon qui, plutôt que d’aller à l’école et de fournir les efforts nécessaires à l’apprentissage des choses de la vie, se laisse séduire par la pensée magique et déteste se faire faire la morale. Qui pourrait le blâmer? Ne vit-on pas dans un monde qui carbure au rêve de la célébrité instantanée, aux investissements d’une rentabilité trop belle pour être vraie et aux livres de psychopop qui promettent une vie épanouie en 25 étapes?

Une fois de plus, Hugo Bélanger mêle marionnettes, jeu masqué, accessoires ingénieux (il faut voir l’acteur manipulateur qui interprète Jiminy Cricket!) et décors mobiles pour allumer l’imaginaire des spectateurs. « Le théâtre, c’est le plaisir de l’illusion », dit le metteur en scène.

Pour preuve, il rappelle la scène finale de La face cachée de la lune où un simple jeu de miroir permet à Robert Lepage de faire mine de voler, alors qu’on voit très bien qu’il se roule sur le plancher. «La force du théâtre, pour moi, c’est ça: tu es émerveillé et en même temps, tu te sens intelligent, juge le metteur en scène. Il y a une dynamique entre plaisir intellectuel et plaisir ludique qui touche toujours.»

Du 22 au 30 décembre, à la Cinquième salle de la Place des Arts.

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La planète dans sa lorgnette

Pinocchio peut espérer vivre longtemps dans son incarnation dirigée par Hugo Bélanger. Tout à trac, la compagnie de théâtre fondée par le metteur en scène, a pour objectif de faire tourner ses spectacles le plus longtemps possible.

Son Alice au pays des merveilles, dont la première version date de l’été 2006, sera d’ailleurs présenté de nouveau en français à Trois-Rivières au mois de janvier et s’envolera ensuite pour des représentations en anglais à New York (au BAM, fin janvier) et à Taiwan (en avril). «On va de plus en plus aux États-Unis et on commence à ouvrir à l’international», expose Hugo Bélanger, évoquant notamment une série de spectacles à Bahreïn.

Or, concrétiser les offres et les invitations, qui viennent parfois d’aussi loin que l’Inde et Abu Dhabi, n’est pas une mince affaire pour une troupe qui dispose de peu de moyens. «On ne peut pas se permettre d’aller quelque part tant qu’on n’est pas certains d’avoir le bon cachet et le financement pour le transport», précise le metteur en scène.

Alice au pays des merveilles a constitué une bonne carte de visite pour la petite compagnie. Grâce à cette production, Tout à trac a déjà des offres pour son Pinocchio qui ne débute pourtant que le 22 décembre et une version en anglais créée à Nashville est dans les plans pour 2013.