Pinocchio : la critique de la revue Jeu

Article publié le 17 février 2014 sur Jeu, par Patricia Belzil.

Archi-connues, les mésaventures du pantin de bois au nez qui allonge sont toujours efficaces pour illustrer aux enfants les vertus de quelques valeurs simples: le respect de ceux qui nous aiment, le sens du devoir et du travail, l’honnêteté. Dans la pimpante et fine adaptation d’Hugo Bélanger, Pinocchio nous touche par la dualité constante du jeune héros, partagé entre son amour pour le vieux Geppetto et l’attrait de la célébrité, entre la tentation des plaisirs immédiats et du gain rapide, et le patient labeur de l’école.

Parions que les bambins de 5 à 10 ans réunis à la Maison Théâtre pour applaudir ses frasques et rire de ses bêtises se sont, dans un même élan, sentis solidaires de ses efforts maladroits pour devenir un bon garçon. Car n’oublions pas que s’il s’enlise dans la délinquance, c’est d’abord dans l’espoir de s’enrichir et de remplacer le manteau que son père a dû vendre pour lui payer un livre de classe. Pinocchio, c’est un enfant qui prend conscience qu’il est pauvre, que son père l’a toujours été, et qui se révolte contre cette injustice.

On connaît les épreuves du garçon, dépité de n’être qu’une marionnette de bois, et le parcours semé de mauvais choix où l’entraîne sa confiance naïve envers ceux qu’il croise. Mais outre ce petit voyou de la Mèche et, surtout, ces coquins de Renard et de Chat (Christian Perrault et Milva Ménard, drolatiques et truculents, avec leurs beaux masques poilus, signés Marie-Pier Fortier), qui lui font prendre des raccourcis en lui faisant miroiter la fortune vite acquise, Pinocchio rencontre aussi de bonnes personnes: le Criquet, son directeur de conscience, et Mangefeu (Claude Tremblay, proprement hilarant), propriétaire du théâtre de marionnettes qui l’exploite d’abord, mais lui offre des écus d’or pour les sortir, lui et son père, d’une misère à laquelle il est allergique… et qui le fait d’ailleurs éternuer allègrement! Des écus inespérés que le gamin étourdi aura vite fait de perdre aux mains du Renard et du Chat.

Né à la fin du XIXe siècle et paru d’abord sous forme de feuilleton, le conte de Carlo Collodi est magnifiquement servi par la mise en scène d’Hugo Bélanger, un joyeux mélange de commedia dell’arte, de jeu masqué et de marionnette, le tout ponctué de chansons rigolotes interprétées par les quatre comédiens, rompus à tous ces arts. Pittoresque bicoque de bois évoquant un décor de tréteaux, la scénographie de Patrice Charbonneau-Brunelle accueille aussi bien l’atelier de Geppetto que le castelet de Mangefeu et une fête foraine illuminée.

Avec sa bouille espiègle et sa silhouette juvénile, Catherine Ruel campe un Pinocchio candide et primesautier. La comédienne prête littéralement vie au pantin avec qui elle fait corps, le manipulant avec aise en même temps qu’elle l’interprète, vêtue d’une salopette et d’un bonnet de laine. Les enfants adhèrent sans mal à la convention, si bien que lorsque, à la fin, Pinocchio se transforme en vrai petit garçon en chair et en os, l’enchantement est au rendez-vous. Pourtant, il était là, sous nos yeux tout au long de la représentation… Il a suffi que la marionnette soit déposée dans un coin pour que le personnage transite dans le corps de la comédienne. Ainsi le jeune public, dont c’est pour plusieurs le premier spectacle, retrouve-t-il ici, et dans le plaisir, toute l’essence du théâtre.